Le grand saut : notre traversée de la Grèce vers l’Italie

Ça y est, nous y sommes. Il va falloir y aller. Il va falloir oser. Aucun de nous à bord n’a navigué sur d’aussi longues distances sans s’arrêter. Aucun de nous n’a jamais passé autant de temps en mer sans mettre le pied à terre.

Pour Émilie et les enfants, c’est la première fois en mer sans garder en vue la terre. Après notre galop d’essai de nuit entre Poliegos et Monemvasia, c’est aussi leurs premières nuits consécutives en mer. Cela fait quelques semaines que je pense à cette traversée. Un mélange d’excitation de relever un nouveau défi et une légère appréhension de se lancer dans quelque chose d’inconnu. Ca me rappelle étrangement certains moments au travail lorsqu’il s’agit d’aborder une situation inédite comme un « lâcher commandant » ou un premier vol vers une destination un peu compliquée…

Nous sommes sur l’ile de Zante tout a l’Ouest du Péloponnèse. Pour cette traversée en direction de l’Italie, nous pourrions bien remonter davantage au Nord le long de cette cote, ainsi nous raccourcirions grandement la distance à parcourir d’une seule traite. Nous verrions aussi une autre facette de la Grèce. La cote adriatique (Corfu, Paxos, Antipaxos, etc…) recèle de vrais petits bijoux. Mais notre programme de navigation est assez serré et si nous voulons respecter notre calendrier, nous devons faire des choix et des sacrifices. Et puis en prévision de nos futures traversées je souhaite que notre équipage gagne en expérience tant que les conditions permettent de le faire dans un environnement à peu près clément.

La distance à parcourir est d’environ 240 miles nautiques, soit environ 500 kms (1 mile = 1,852 kms). En étant conservateur, nous pouvons compter sur une vitesse moyenne de 5 nœuds. Nous prévoyons donc un temps de traversée d’environ 48h.

La météo s’annonce clémente. Peu de vent au début et à la fin, un peu plus lors de la 1ère nuit ainsi que pour notre journée complète en mer. Mais nous confirmerons la règle selon laquelle les prévisions ne sont que des prévisions, parfois très éloignées de la réalité…!

Nous quittons l’ile de Zante à midi après notre exploration des sources de sulfure (voir article précédent). Nos premières heures de navigation se passent au près serré dans une mer et un vent qui mouillent passablement le pont. Heureusement, le vent adonne (s’écarte de la route désirée) et notre trajectoire dessine un très bel arc de cercle qui tend vers l’Ouest. En fin d’après-midi, le vent finit par tomber et nous sommes contraints de mettre le moteur.   

Le premier coucher de soleil de cette traversée est magnifique. Peu à peu nous rentrons dans l’ombre de la Terre, la pénombre précède la noirceur. Pas un souffle de vent. Au son du Volvo Penta qui ronronne sous nos pieds nous glissons à 5-6 nds vers l’Ouest sur une mer devenue d’huile.

Au fur et à mesure que la nuit s’installe, les étoiles s’allument les unes après les autres dans le ciel. Dans l’eau, le plancton bioluminescent laisse des étincelles dans le sillage du Fils du Vent. Ce phénomène – impossible à capter avec les moyens du bord – demeure légèrement mystérieux à mes yeux. Je réveille Victor pour lui faire vivre ce moment magique offert par dame Nature. Il est ébahi. Cela me rappelle le jour où, petit, lors d’une traversée nocturne, j’avais moi-même découvert que la mer pouvait émettre de la lumière… Quel spectacle!

Photo tirée d'internet

Au loin, très loin au Nord sur l’horizon, mon œil détecte un premier éclat blanc dans la nuit noire. Un orage aurait-il décidé de venir illuminer la nuit? Nous continuons d’avancer. Toujours aucune nouvelle d’Eole mais de plus en plus de flashs blancs dans le ciel. Il devient évident qu’un orage se rapproche de nous. Mais sans aucun repère il est extrêmement difficile d’en estimer la distance ou la direction.

Je pense que l’on va facilement lui passer devant mais Il se rapproche de nous. J’oblique la trajectoire d’une dizaine de degrés à bâbord. Le ciel commence à se couvrir. Je donne un autre 10 degrés à gauche… Quelques dizaines de minutes plus tard, nous commençons très clairement à discerner les contours du volumineux cumulonimbus à chaque fois qu’un éclair vient blanchir la nuit. Peu de bruit pour le moment, le ronron du moteur couvre encore le vrombissement du tonnerre. Mais bientôt nous entendons clairement l’air se déchirer à chaque éclair. Le ciel crépite. Et toujours aucun souffle de vent.

Notre trajectoire continue à s’obliquer vers le Sud : pas du tout la direction que nous souhaitons. Il devient évident que nous ne serons pas en mesure de gagner le sprint avec cet orage. 2 options s’offrent à nous : continuer tout droit avec la possibilité de se retrouver sous la cellule ou faire preuve d’humilité et retourner sur nos pas afin de passer en arrière de cet orage qui nous enquiquine depuis maintenant 2 ou 3 bonnes heures.

Nous laissons notre égo de cote et décidons de faire demi-tour pendant près d’une heure. L’orage passe rapidement et nous touchons finalement du vent frais du Nord comme cela était initialement prévu. Le front froid vient de passer. Nous hissons les voiles et le bateau accélère à 7-8 nds au travers. Parfait!

Le reste de la traversée se fera sans encombre. L’Etna en toile de fond, nous arrivons à Taormina en Sicile après avoir effleuré la pointe sud de la Calabre. 50 heures de traversée et le sentiment d’avoir franchi un certain cap personnel. L’équipage au complet se sera très bien comporté pour cette première longue traversée. Les moussaillons auront été patients et auront su s’occuper la majeure partie du temps. Nous voilà mieux préparés pour affronter nos prochaines navigations

Tanguy

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